Chapitre 9 Il aurait pu le chercher longtemps dans la neige, il le cherche depuis si longtemps. Il aurait pu poursuivre sa trace jusqu’à la fin, le suivre, l’attendre aussi. Mais à quoi bon, il sait maintenant, François ne lui pardonnera jamais. Parce qu’il ne pourra pas le rejoindre. Toutes ses images assemblées de coïncidences, tout ce brouillard qui s’insuffle dans le moindre de ses pas, ce corps qu’il serre pour la première et la dernière fois, toujours si chaud malgré la mort. Il faut arrêter ça aujourd’hui, se recoller à la grisaille de ses murs, revenir vers l’horreur, doucement, pour y loger sa vérité. Il l’a tué aussi sûrement qu’il l’a haïe à cet instant-là. Il a pris le volant avec ça, cette envie de tout arrêter, il a voulu faire cesser les mémoires douloureuses, il a voulu lui dire que ça suffisait, que tout n’était que mystification, qu’il l’aimait, encore. Il a voulu tout lui dire. Après le sang qui dévale sur le visage, Thomas a pris la mesure du désert, l’homme n’était plus là, son regard tranquille avait suivi des sentes ocres et sèches quelque part loin devant. Il ne l’a jamais revu. Il avait posé ses bagages dans un coin sombre de Gao, poursuivant son voyage avec François, un François troublant, attentif et là. Il ne l’avait perdu qu’à la fermeture plombée du cercueil, mais pas tout à fait, pas encore. Il le croiserait souvent sous l’été du Nord, sous la neige de l’ouest, il le croiserait sur des chemins abrupts et des fournaises lentes. François était mort dans un tourbillon de bruit, dans une parade de poussière. Il ne sait pas s’il doit se resservir un verre ou rester là, couché dans ses larmes, les nouvelles, les larmes d’exactitude. François marche dans le froid, il ne fera pas demi-tour. Thomas est mort dans la chaleur du désert, un jour de piste maladroite. Il va peut-être vivre désormais, un peu plus, un peu mieux. Il va accepter de s’en vouloir, de se dire qu’il ne voulait pas. Il va accepter de ne pas se pardonner. Il va admettre ce qu’il a fait. Alors, pour achever le début de sa fin, il a 8 ans, François aussi. EPILOGUE - « Hey, ! Toi, tu t’appelles comment ? » - « Thomas. Et toi ? » - « François. Viens avec moi, j’ai fait une cabane dans les arbres. T’as pas peur de grimper aux arbres ? » - « Ben, si, un peu, mais je voudrais voir quand même. » - « C’est pas grave, je vais t’aider. Il y avait un joli soleil léger, une odeur de foin partout dans l’air d’été. Les libellules s’accrochaient aux herbes naissantes, près des rigoles tortueuses. François avait soutenu Thomas pour s’installer dans la cabane de feuilles. Ils étaient restés là, bourlinguant d’une histoire à l’autre, Thomas amusé, François bavard, gesticulant, disposant les mots les uns derrière les autres pour regarder pousser le sourire de Thomas. Des livres étaient entassés dans un coin, Thomas les avaient dépliés avec soin, volant une phrase ou deux au passage. François s’en moquait. C’est sa mère qui avait eu cette idée ridicule de disposer des bouquins ici, pas lui. Thomas avait laissé les livres. Le regard railleur de François avait suffi à faire taire ses envies de lecture. Ils étaient redescendus, avaient poursuivi leurs jeux sur les chemins ombragés, dans les près dénudés de sombre, dans les bois ourlés de légende. François galopant devant, Thomas respirant les souffles laissés par la course de François. Le soir venu, Thomas avait dit : « Viens, on rentre. » François avait suivi. |